Que révéleront les archives religieuses

Chers membres

Le journaliste M. Jean-François Nadeau publiait dans Le Devoir de ce samedi 3 juillet 2021 un dossier concernant les archives religieuses et la question des pensionnats autochtones. L’ensemble de mes interventions ont été reprises d’une lettre envoyée d’abord à M. Jean-François Nadeau. Il me semble pertinent de vous partager cette lettre en intégralité.

Que pourraient révéler les archives religieuses sur les pensionnats autochtones ?

Par David Bureau, président du Regroupement des archivistes religieux

Archives du quotidien
Après les découvertes de Kamloops et de Marieval, les supérieurs.es des congrégations Oblats de Marie Immaculée et des Soeurs de Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe ont annoncé l’ouverture de leurs archives. Le but évidemment est de mieux pouvoir comprendre le système mis en place dans les pensionnats autochtones et qui est responsable de cette foule de tombes anonymes.

Il me semble important de souligner que les archives religieuses ne sont pas fermées. Elles sont des archives privées et leur accès relève de leur propriétaire, dans le cas qui nous occupent les OMI et les SSJSH. Toujours, on peut demander l’accès à des fonds d’archives privées mais des règles s’appliquent pour protéger les renseignements personnels des individus, les bons comme les mauvais, qui se trouvent dans les dossiers conservés. On me permettra d’ajouter que ce n’est pas parce qu’un ensemble de documents est acquis par un service d’archives public (BAnQ par exemple) que soudainement tous les documents sont accessibles. Il en va de même pour les institutions publiques qui ne dévoilent pas au premier venu des informations confidentielles. Les archives religieuses, en ce sens, ne sont pas plus fermées que d’autres fonds documentaires.

Mais que nous diront les archives ? Possiblement très peu pour les plus ardents accusateurs de l’Église. Car il faut bien le dire, les archives ne débordent pas toujours du type d’information que l’imaginaire populaire se plaît à nous décrire. Attendons-nous plutôt à une correspondance aride, froide et très « fonctionnaire » qui dira que tel ou tel pensionnat est désormais le problème de la communauté en charge. Qu’il lui revient à elle seule de faire face aux pénuries de nourriture, de bois de chauffage, de personnel qualifié, de transport, etc. On trouvera des livres de comptes, des lettres aux supérieurs demandant ici quelques sous de plus, là se plaignant du froid constant. Dans ces conditions, pouvait-on vraiment prendre soin d’enfants qui étaient pour certains déjà affaiblis physiquement, psychologiquement et spirituellement par la perte de leurs repères ? Des enfants parfois arrachés à leur famille ?

Il serait plus que surprenant que les archives de ces congrégations révèlent, caché aux fonds d’une boîte qui n’a pas été ouverte depuis plus de 100 ans, un long exposé détaillé d’un plan machiavélique nommant les responsables, les méthodes à utiliser et la finalité diabolique d’un plan ourdi depuis le siège de saint Pierre.

Un bouc-émissaire bien utile
Mon opinion actuelle est que l’Église catholique a été un outil idéal pour les forces politiques afin d’accomplir une besogne : de par son pouvoir sur une partie de la population autochtone, son histoire et son esprit missionnaire, l’Église pouvait jouer un rôle de confiance de façade auprès des nations autochtones. Après tout, il y avait au moins deux cents ans de cohabitation tendue ou fructueuse entre l’Église, les missionnaires et les autochtones. De plus, privée par sa nature juridique, établit aux quatre coins du pays, pouvant déployer et mobiliser une main d’oeuvre volontaire et peu coûteuse, l’Église était aussi une institution que les gouvernements savaient être capable de discrétion. Si des membres de l’Église ont fait preuve d’un comportement condamnable allant à l’encontre de tout ce qu’elle propose comme voie spirituelle, certains représentants de l’appareil politique ont aussi leur part du blâme et ne doivent pas être exclus de l’équation. Il faut trouver, nommer et juger à la lecture des archives disponibles tous les coupables.

Les bons religieux
Il n’y aura peut-être pas que des inconvénients à ouvrir les archives des congrégations concernées. Beaucoup d’information sera disponible. On prendra alors connaissance que, bien souvent, l’Horreur et la Beauté siègent côte-à-côte dans le même bateau et que la vérité est, comme presque à chaque fois, beaucoup plus nuancée que ce que nous font croire les détracteurs de tous bords tous côtés.

Nous serons peut-être surpris par ce que les documents vont nous révéler : à savoir qu’au sein même des communautés religieuses se trouvent des hommes et des femmes parfois gentils, parfois méchants, souvent croyants, parfois moins. Des personnes qui proviennent de milieux favorisés ou pauvres, des gens qui se sont retrouvés là par défis ou par dépit. Certains y ont trouvé un milieu de vie correspondant à leurs aspirations, d’autres une couverture pratique pour commettre des crimes, sans soucis des répercussions. Et, comme dans la société civile, une très vaste majorité d’êtres humains essayant tant bien que mal de vivre leur vie au mieux de leurs capacités et de leurs convictions, faisant le bien ou le mal autour d’eux, avec ou sans égard pour leur famille, leurs proches, leurs amis, leurs voisins.

Ironiquement, il y a près d’un an, on voyait fermer dans la quasi-indifférence les archives des Sulpiciens. Eux aussi ont été en contact avec les nations autochtones, notamment la nation Mohawk par le truchement de la Seigneurie des Deux-Montagnes. Dieu sait ce qui advient de ces archives à l’heure actuelle. Encore heureux que les bons pères OMI et les bonnes soeurs SSJSH aient fait l’effort de conserver les traces de notre passé. Là, au moins, nous pouvons encore accéder aux documents et réfléchir ensemble sur ce passé trouble.

David Bureau
Président du Regroupement des archivistes religieux

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